Le langage est arbitraire

On constate une utilisation différente des mots dans différentes sociétés, ce qui écarte le fait que les mots puissent avoir une signification naturelle.

Si les noms étaient par nature, s’ils n’avaient pas à chaque fois une signification conventionnelle, nécessairement, tout le monde comprendrait tout le monde, les Grecs comprendraient les barbares et les barbares les Grecs et les barbares se comprendraient entre eux. Or ce n’est pas le cas. Il n’est donc pas vrai que les noms signifient par nature. Voilà donc une assertion qu’ils ne soutiendront pas. S’ils prétendent dire des noms qu’ils sont tels ou tels parce que par nature chacun d’eux indique distinctement qu’il est masculin, féminin ou neutre, qu’ils le sachent : c’est reculer pour mieux sauter. Encore une fois, nous leur dirons que ce qui nous affecte par nature nous affecte tous pareillement, et n’affecte pas certains d’une façon et d’autres d’une façon contraire. Par exemple, c’est par nature que le feu chauffe, et il chauffe les barbares comme les Grecs, les hommes ordinaires comme les hommes d’expérience : il n’est pas vrai qu’il chauffe les Grecs et refroidisse les barbares. C’est par nature que la neige refroidit : il n’est pas vrai qu’elle refroidisse certains et qu’elle en réchauffe d’autres. En conséquence, ce qui affecte par nature affecte pareillement ceux dont les sens ne sont pas empêchés. Or les mêmes noms ne sont pas identiques pour tout le monde : pour les uns ce sont des masculins, pour d’autres des féminins, pour d’autres des neutres. Ainsi les Athéniens disent la stamos (« jarre ») au féminin, les Péloponnésiens disent le stamos au masculin ; les uns disent la tholos (« la coupole), les autres disent le tholos (« bandeau de tête ») ; on dit la ou le bôlos (« motte »). Et ce n’est pas une raison pour taxer les uns ou les autres d’erreur : chacun use du mot selon sa valeur conventionnelle.

Sextus Empiricus, Contre les Grammairiens

L'essentiel

Sextus Empiricus, célèbre penseur sceptique, prend ici position dans un très vieux débat de linguistique : l’arbitraire du signe.

La question est de savoir si le langage est (ou n’est pas) un phénomène naturel. Et, plus précisément, de comprendre si les mots contiennent, en eux-mêmes, une signification naturelle et universelle.

Sextus rejette cette idée au nom du relativisme des significations et des usages linguistiques : les mêmes signes n’ont pas la même signification selon les cultures, ils sont donc arbitraires.

Des ressources pour aller plus loin

Tout est relatif ?

« Il n’existe aucun bien par nature. En effet, si le bien propre à chacun n’est pas celui de tous et n’existe pas par nature, et si à côté du bien propre à chacun il n’y en a pas qui fasse l’objet d’un accord, alors le bien n’existe pas. « 

– Sextus Empiricus (Contre les moralistes)

Podcast

Les origines du langage

Sur les épaules de darwin, 3x54 MIN

Podcast

L’esprit du scepticisme dans l’Antiquité

France Culture, 58 MIN

Article

Notes sur « Contre les grammairiens »

ENS Editions, 30 MIN

Texte Intégral

Esquisses Pyrrhoniennes

SEXTUS EMPIRICUS