Le malheur de l'homme
L’être humain cherche sans cesse de nouveaux divertissements pour se consoler, en vain, d’être misérable par nature.
Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.
Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

L'essentiel
Si Pascal avait connu les réseaux sociaux, il les aurait sans aucun doute mentionnés dans ce texte.
Car qui aujourd’hui peut s’allonger, seul, dans sa chambre, sans son téléphone ?
Pourquoi chercher, de façon compulsive, à occuper son esprit, même si cela signifie parfois lui infliger des horreurs ou de l’anxiété ?
C’est comme si la nature humaine était incomplète, vide, misérable, et incapable de se satisfaire d’elle-même.
Notre alternative est donc la suivante : nous divertir (au risque de souffrir) ou assumer notre nature (au risque de s’ennuyer).

Des ressources pour aller plus loin
Souffrir pour se divertir
« Un roi sans divertissement est un homme plein de misère. »
– Pascal, Pensées (139, Ed Brunschvicg)
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Résumé du corrigé :
Plan du texte
Première partie (paragraphe 1 – « Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes…dans une chambre. » ) : Constat du malheur des hommes dû à leur agitation incessante.
- Pascal commence par une observation empirique des comportements humains.
- Il décrit la condition humaine comme marquée par l’agitation et les souffrances qu’elle engendre.
Deuxième partie (paragraphe 2 – « Un homme qui a assez de bien… avec plaisir. ») : Explication des comportements humains par leur incapacité à demeurer en repos.
- Pascal explicite l’idée principale du premier paragraphe : l’incapacité à rester en repos est la cause des maux humains.
- Il illustre cette idée en montrant comment les hommes cherchent sans cesse des divertissements pour fuir leur solitude.
Troisième partie (paragraphe 3 – « Mais quand j’ai pensé…nous y penson de près. ») : Cause ultime du malheur : la condition humaine elle-même.
- Pascal approfondit son analyse : l’agitation n’est pas un simple choix mais une conséquence de la misère humaine.
- Il introduit l’idée d’une condition « faible et mortelle » qui pousse l’homme à fuir la réflexion sur sa propre misère.
Thèse du texte
Pascal soutient que tout le malheur des hommes vient de leur incapacité à rester seuls en repos, car cette solitude les confronte à leur misère existentielle.
Thèses adverses : 1) Spinoza considère que la nature humaine n’est pas nécessairement misérable, mais que ce sont nos incompréhensions sur cette nature qui nous rendent malheureux. 2) Rousseau décrit la nature humaine comme pleine de ressources et capable de se perfectionner. C’est la vie en société qui pervertit et rend malheureux les êtres humains. |
Problématique
Pourquoi l’être humain se consacre-t-il constamment aux activités qui le font souffrir ?
Intérêt philosophique et enjeux
💡Enjeu psychologique : Le divertissement est-il une nécessité pour préserver notre équilibre mental ?
💡Enjeu sur le bonheur : Si les divertissements ne nous rendent pas réellement heureux, existe-t-il des activités qui le peuvent ?
💡Enjeu philosophique sur la question de la mort : Notre vie est-elle toute entière vécue dans la peur de notre propre mort ?
Pièges et difficultés
🚫 Erreur 1 : Confondre ce texte avec une critique du divertissement. Pascal ne dit pas qu’il faut se passer des divertissements. Il ne dit même pas si c’est réellement possible de s’en passer.
🚫 Erreur 2 : Confondre l’ennui et l’angoisse existentielle. Pascal ne dit pas que les êtres humains s’ennuient quand ils sont seuls. Mais plutôt que, dans leur solitude, ils ne supportent pas se retrouver face à eux-mêmes et contempler la réalité de leur condition.
🚫 Erreur 3 : Adopter une lecture trop fataliste du texte. Pascal décrit une situation bien sinistre, mais il ne dit pas si on peut y échapper ou non.
Mobiliser ses connaissances
📌 Épicure : L’hédonisme épicurien propose une vie de plaisirs simples et réfléchis pour atteindre l’ataraxie (absence de trouble). Contrairement à Pascal, Épicure voit dans la recherche du plaisir une fin légitime et non une fuite.
📌 Heidegger : Il parle de « l’oubli de l’être », qui renvoie à notre tendance à éviter la confrontation avec la réalité de notre finitude, rejoignant ainsi Pascal.
Objections au texte
- Le divertissement comme nécessité sociale
- La recherche d’occupations ne joue-t-elle pas un rôle essentiel dans la cohésion sociale et le bien-être psychologique ?
- Une vision trop pessimiste de la condition humaine ?
- Pascal insiste sur la misère de l’homme et son besoin de fuite. Mais cette vision ne minimise-t-elle pas la capacité de l’homme à donner un sens à son agitation ?
- Une critique du divertissement qui ne tient pas compte de la diversité des plaisirs
- Pascal semble rejeter tout divertissement, mais certains loisirs ne sont-ils pas enrichissants ?
Éléments pour l'introduction
La critique actuelle de l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux s’appuie souvent sur des arguments simples : ces divertissements nous abrutissent, nous isolent et gâchent nos vies. Mais si passer des heures sur Tiktok est si néfaste pour nous, pourquoi aimons-nous autant nous y plonger pour nous évader ? Pourquoi rechercher une telle occupation, au point de s’exposer à des souffrances ? Blaise Pascal, dans cet extrait des Pensées, affirme que ce paradoxe est la cause principale de notre malheur. Selon lui, l’homme fuit la solitude et l’ennui car ils le confrontent à sa condition misérable et mortelle. Il analyse ainsi le divertissement comme un moyen d’échapper à la réflexion sur soi. Nous verrons d’abord comment Pascal établit ce constat, avant d’examiner les critiques possibles de cette conception du divertissement.