L'homme reste prisonnier de la nature
Les êtres humains, malgré leurs merveilles techniques, ne font qu’utiliser les lois de la nature.
Les forces réunies du genre humain tout entier ne pourraient pas créer une nouvelle propriété de la matière en général, non plus que de l’un de ses corps. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de tirer parti pour nos fins des propriétés que nous découvrons.
Un navire flotte sur les eaux en vertu des mêmes lois de pesanteur spécifique et d’équilibre qu’un arbre déraciné par les vents et précipité dans l’eau. Le blé que l’homme produit pour s’en nourrir, pousse et forme son grain en vertu des mêmes lois de végétation qui font porter à la rose sauvage et au fraisier des montagnes leurs fleurs et leurs fruits. Une maison se tient debout et fait corps en vertu des propriétés naturelles, du poids et de la cohésion des matériaux qui la composent. Une machine à vapeur produit des effets par la force expansive naturelle de la vapeur, qui exerce une pression sur un point d’un mécanisme approprié, pression qui, en vertu des propriétés mécaniques du levier, se transmet de ce point à un autre où elle élève un poids ou écarte un obstacle qu’on a mis en contact avec elle.
Dans ce cas comme dans toutes les autres opérations artificielles, le rôle de l’homme, ainsi qu’on l’a souvent remarqué, demeure renfermé dans d’étroites limites ; il se borne à changer les choses d’une place à une autre place donnée. Nous mettons un objet en mouvement, et par là nous plaçons certaines choses en contact, qui étaient séparées auparavant, ou nous en séparons d’autres qui étaient en contact ; et par ce simple changement de lieu, des forces naturelles, auparavant en sommeil, entrent en jeu et produisent l’effet voulu.
Bien plus, la volonté qui décide d’un projet, l’intelligence qui en combine le plan, et la force musculaire qui l’exécute, tous ces mouvements sont eux-mêmes des forces de la nature.

L'essentiel
L’époque de Stuart Mill est celle des grandes inventions. Les progrès des sciences et techniques sont spectaculaires et donnent l’impression que, peu à peu, l’homme parvient à s’extraire de la nature.
Un tel constat pourrait être d’ailleurs fait aujourd’hui. Une écrasante majorité de l’humanité vit dans des villes, se déplace sur des machines ou se divertit avec des écrans. De prime abord, c’est comme si l’être humain avait domestiqué la nature, pour mieux s’en isoler.
Pourtant, si l’on y regarde de plus près, chacun de nos objets techniques n’est qu’une application des lois de la nature, mise en oeuvre avec des matériaux de la nature.
La physique et la chimie ne nous enseignent pas comment inventer des propriétés surnaturelles, mais plutôt comment la nature fonctionne, et de quoi elle est composée.
L’être humain lui-même ne peut acquérir de telles connaissances que grâce à son corps et ses facultés, elles-mêmes issues de la nature.
En résumé, bien qu’il aime s’imaginer qu’il domine la nature, l’être humain en reste prisonnier.

Des ressources pour aller plus loin
Bien définir la nature
« Le souci du genre humain d’intervenir pour le compte de la nature, de peur que la nature ne réussisse pas à atteindre son but est une sollicitude totalement inutile. »