Les sens sont les matériaux de la pensée

Lorsque l’on examine le flux de notre conscience, on s’aperçoit qu’il est impossible de penser sans sensations ou sentiments.

Ce qu’on n’a jamais vu, ce dont on n’a jamais entendu parler, on peut pourtant le concevoir ; et il n’y a rien au-dessus du pouvoir de la pensée, sauf ce qui implique une absolue contradiction.

Mais, bien que notre pensée semble posséder cette liberté illimitée, nous trouverons, en l’examinant de plus près, qu’elle est réellement resserrée en de très étroites limites et que tout ce pouvoir créateur de l’esprit n’est rien de plus que la faculté de composer, de transposer, d’accroître ou de diminuer les matériaux que nous apportent les sens et l’expérience.

Quand nous pensons à une montagne d’or, nous joignons seulement deux idées compatibles, or et montagne, que nous connaissions auparavant. Nous pouvons concevoir un cheval vertueux ; car le sentiment que nous avons de nous-mêmes nous permet de concevoir la vertu ; et nous pouvons unir celle-ci à la figure et à la forme d’un cheval, animal qui nous est familier.

Bref, tous les matériaux de la pensée sont tirés de nos sens, externes ou internes ; c’est seulement leur mélange et leur composition qui dépendent de l’esprit et de la volonté.

Hume, Enquête sur l'entendement humain, Section 2

L'essentiel

Notre pensée, qui pourtant semble infinie dans ses capacités, est en réalité extrêmement limitée.

Car on ne peut penser que ce dont nous avons déjà fait l’expérience : soit par nos sensations, soit par nos émotions.

Nous avons l’illusion que la pensée dépasse notre expérience parce qu’elle fait preuve d’imagination.

Mais en réalité cette imagination n’est pas pure création, mais plutôt combinaison d’éléments fournis par l’expérience.

Des ressources pour aller plus loin

Le moi empirique

« Je ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais je ne puis observer autre chose que la perception »

– Hume, Traité de la nature humaine, I ; Partie IV ; Section VI

Podcast

David Hume, ou l’art d’être sceptique

France Culture

Podcast

Hume – La connaissance des choses au travers des sens

France Culture, 1h28min

Article

David Hume – La philosophie et les savoirs

Revue Archives de Philosophie

Texte Intégral

Enquête sur l’entendement humain

HUME

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Cours sur Hume et l'empirisme [A venir]

Résumé du corrigé :

Plan du texte

Première partie : Affirmation de la liberté de la pensée (Phrase 1)

  • « Ce qu’on n’a jamais vu… » à « …sauf ce qui implique une absolue contradiction. »
  • Hume démontre que l’esprit humain semble pouvoir concevoir tout objet, même ceux jamais perçus.
  • Distinction entre ce qui est concevable et ce qui est logiquement contradictoire.

Deuxième partie : Restriction de cette liberté par l’expérience (Phrase 2)

  • « Mais, bien que notre pensée semble… » à « …que nous apportent les sens et l’expérience. »
  • Mise en évidence des limites de l’imagination : on ne peut que recombiner des idées issues de l’expérience.

Troisième partie : Illustration par des exemples (Phrase 3)

  • « Quand nous pensons à une montagne d’or… » à « …animal qui nous est familier. »
  • Exemples concrets pour montrer que nos idées sont des combinaisons de perceptions antérieures.

Quatrième partie : Conclusion générale (Phrase 4)

  • « Bref, tous les matériaux de la pensée… »
  • Réaffirmation de la thèse empiriste : tout vient de l’expérience sensible.
Thèse du texte

Hume soutient que toute pensée est issue de l’expérience : l’imagination ne peut rien inventer à partir de rien, elle ne fait que composer, transposer, accroître ou diminuer des éléments déjà perçus.

La pensée ne crée rien ex nihilo ; elle ne fait que recombiner des éléments issus de l’expérience sensible.

Thèses adverses :

1) Rationalisme (Descartes) : la raison peut saisir des idées innées indépendantes de l’expérience.

2) Idéalisme (Platon) : il existe des réalités et des vérités qui dépassent l’expérience sensible.

Problématique

Le pouvoir de notre pensée est-il illimité ?

Intérêt philosophique et enjeux

💡Enjeux philosophiques : Ce texte s’inscrit dans le débat entre empirisme et rationalisme, en affirmant que toute pensée repose sur l’expérience.

💡Enjeux concrets sur la créativité : Peut-on réellement inventer quelque chose de totalement nouveau ou ne faisons-nous que recombiner l’existant ?

Pièges et difficultés

🚫 Erreur 1 : Confondre perception et idée Une perception est une sensation immédiate (ex. : voir une pomme). Une idée est une représentation mentale dérivée de cette perception.

🚫 Erreur 2 : Croire que Hume nie toute créativité Hume ne dit pas que nous ne pouvons pas imaginer des choses nouvelles, mais que ces nouvelles idées sont toujours des combinaisons d’éléments déjà connus.

🚫 Erreur 3 : Réduire l’empirisme à une simple accumulation de données L’empirisme ne signifie pas que la pensée est un simple catalogue de souvenirs ; Hume reconnaît un travail actif de l’esprit dans la recomposition des idées.

Mobiliser ses connaissances

📌 John Locke – Essai sur l’entendement humain : Locke défend une position similaire avec sa théorie de la « table rase ».

📌 Kant – Critique de la raison pure : Kant nuance Hume en distinguant l’origine empirique des idées de leur structuration par des catégories a priori.

Objections au texte

La créativité humaine dépasse-t-elle la simple recombinaison ? Hume réduit l’imagination à une simple recombinaison d’éléments préexistants. Pourtant :

  • La créativité artistique et littéraire peut donner naissance à des formes radicalement nouvelles.
  • La recherche en neurosciences suggère que l’intuition et l’inspiration peuvent naître de processus cognitifs complexes, qui ne sont pas de simples associations d’idées.
Éléments pour l'introduction

    Depuis l’Antiquité, les philosophes se demandent d’où viennent nos idées. Pouvons-nous penser librement et créer des concepts entièrement nouveaux, ou sommes-nous limités aux perceptions que nous avons accumulées ? Dans cet extrait de L’Enquête sur l’entendement humain, Hume défend une position empiriste radicale : selon lui, toutes nos idées sont issues de l’expérience et l’imagination ne fait que recombiner des éléments déjà perçus. Il s’oppose ainsi aux rationalistes, qui affirment l’existence d’idées innées. Nous verrons d’abord comment Hume semble accorder à la pensée une liberté illimitée, avant de montrer qu’il en restreint fortement la portée, et enfin d’examiner ses implications pour notre conception de la connaissance.