Le bonheur de l'infini

Et si le bonheur authentique ne provenait pas de la maîtrise, mais plutôt de l’abandon à l’infini ?

« N’as-tu jamais entendu parler de la grenouille du puits en ruine ? » La grenouille dit à la grande tortue de la Mer Orientale : « Comme je m’amuse ! Je sors du puits et sautille autour de la margelle, ou bien je rentre au fond du puits et me repose dans le creux du mur d’où une pierre est tombée. Quand je plonge dans l’eau, je la laisse me porter sous les aisselles et soutenir mon menton, et quand je glisse dans la boue, j’enterre mes pieds dedans et je la laisse recouvrir mes chevilles. Je regarde autour de moi les larves de moustiques, les crabes et les têtards et je vois qu’aucun d’eux ne peut m’égaler. Avoir une maîtrise complète de l’eau de tout un bassin et s’accaparer toutes les joies d’un puits en ruine, c’est la meilleure chose qui soit ! Pourquoi ne viens-tu pas, un jour, voir de toi-même ? »

Mais avant que la grande tortue de la Mer Orientale n’aie seulement posé son pied gauche dans le puits, son genou droit était déjà coincé.

Elle se retira et recula un peu, et puis commença à décrire la mer : « Une distance d’un millier de li ne peut pas indiquer sa grandeur ; une profondeur d’un millier de brasses ne peut pas exprimer à quel point elle est profonde. Au temps de Yu, il y eut des inondations neuf années sur dix, et pourtant ses eaux ne s’élevèrent jamais. Au temps de Tang, il y eut des sécheresses sept années sur huit, et pourtant elle ne se retira jamais des rivages. Jamais elle ne change ni ne bouge, pour un instant ou pour l’éternité ; jamais elle n’avance ni ne recule, que la quantité d’eau qui s’y écoule soit grande ou petite – voilà l’enchantement qu’est la Mer Orientale ! »

Quand la grenouille du puits en ruine entendit cela, elle resta abasourdie de surprise, déconfite et complètement perdue.

Zhuangzi, Chapitre 17

L'essentiel

Le narcissisme et l’égo de la tortue n’ont d’égal que son incapacité à voir plus loin que le bout de son puit. Installée dans le confort de la ruine, elle vante sa maîtrise d’un espace étriqué et mortifère.

La tortue, polie mais respectueuse de sa propre nature, emploie la métaphore de la mer pour invoquer le Dao et ses infinis bienfaits.

Mais la tortue, face à une telle découverte, et si habituée aux espaces réduits de son esprit, ne sait que faire de l’infinité qu’on lui offre.

Des ressources pour aller plus loin

La petitesse de l’esprit

Cela prouve, rétorqua Maître Tchouang, que tu es incapable de voir grand.[…] Que tu as l’esprit étriqué !

– Zhuangzi, Chapitre 1

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