Le boucher était en train de découper un bœuf pour le roi Hui de Liang. Partout où sa main frappait, où son épaule s’appuyait, où son pied se rivait, où son genou se pressait, les sons sourds de la chair se séparant des os retentissaient. Le couteau sifflait à toute allure avec son battement rythmique, chaque coup sonnant la note parfaite, en harmonie avec la Danse du Bosquet aux mûriers ou le Chœur des Augustes Rois Eclairés.

Le roi dit : « Ah ! C’est merveilleux que l’habileté puisse atteindre de tels sommets ! »

Le boucher posa son couteau et dit : « Ce que j’aime, c’est le Dao plus que la technique. Quand j’ai commencé à pratiquer mon métier, je voyais tout le bœuf devant moi. Trois ans plus tard, je n’en voyais plus que des parties. Aujourd’hui, je le trouve par l’esprit sans plus le voir de mes yeux. Mes sens n’interviennent plus, mon esprit agit comme il l’entend et suit de lui-même les linéaments du bœuf. Lorsque ma lame tranche et disjoint, elle suit les failles et les fentes qui s’offrent à elle. Elle ne touche ni aux veines, ni aux tendons, ni à l’enveloppe des os, ni bien sûr à l’os même.”

[…] « Chaque fois que je rencontre une articulation difficile et que je réalise qu’il n’y a rien à faire, je retiens mon souffle, comme terrifié, jusqu’à ce que ma vue s’immobilise complètement.

J’agis lentement, ma lame bouge très légèrement. Puis whoosh ! Tout à coup je retrouve le bœuf déjà démembré à mes pieds, comme des mottes de terre éparpillées sur le sol. Je retire la lame et reste là, à le contempler tout autour de moi, à la fois désorienté et satisfait.

Puis je nettoie ma lame et la remets dans son fourreau.