Le mensonge permet l'action
La capacité de mentir, c’est-à-dire de nier le réel, crée pour nous un espace de liberté dans lequel l’action devient possible.
Un des traits marquants de l’action humaine est qu’elle entreprend toujours du nouveau, ce qui ne signifie pas qu’elle puisse alors partir de rien, créer à partir du néant. On ne peut faire place à une action nouvelle qu’à partir du déplacement ou de la destruction de ce qui préexistait et de la modification de l’état de choses existant.
Ces transformations ne sont possibles que du fait que nous possédons la faculté de nous écarter par la pensée de notre environnement et d’imaginer que les choses pourraient être différentes de ce qu’elles sont en réalité. Autrement dit, la négation délibérée de la réalité − la capacité de mentir −, et la possibilité de modifier les faits – celle d’agir – sont intimement liées ; elles procèdent l’une et l’autre de la même source : l’imagination.
Car il ne va pas de soi que nous soyons capables de dire : « le soleil brille », à l’instant même où il pleut (certaines lésions cérébrales entraînent la perte de cette faculté) ; ce fait indique plutôt que, tout en étant parfaitement aptes à appréhender le monde par les sens et le raisonnement, nous ne sommes pas insérés, rattachés à lui, de la façon dont une partie est inséparable du tout. Nous sommes libres de changer le monde et d’y introduire de la nouveauté.
Sans cette liberté mentale de reconnaître ou de nier l’existence, de dire « oui » ou « non » – en exprimant notre approbation ou notre désaccord non seulement en face d’une proposition ou d’une déclaration, mais face aux réalités telles qu’elles nous sont données, sans contestation possible, par nos organes de perception et de connaissance – il n’y aurait aucune possibilité d’action.
L'essentiel
Le mensonge est habituellement vu comme un acte négatif, qui a pour objectif de tromper et de dissimuler. Arendt prend alors le contrepied de cette perception, et affirme que le mensonge est au contraire utile et important.
Mais pas n’importe quel mensonge. Ici, ce qui est discuté, c’est surtout la capacité à mentir, c’est-à-dire la capacité à contredire ce que l’on observe.
Le mensonge, défini ainsi, devient un acte de révolte. Une façon de s’opposer pour mieux se donner la liberté de penser autrement, différemment. Mentir, c’est alors créer un espace dans lequel on peut agir, et changer le monde.
Des ressources pour aller plus loin
Mentir en politique
« Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien et de démagogue, mais aussi de celui d’homme d’Etat. »