Plutôt s'ennuyer que de travailler sans plaisir

Certaines personnes (artistes, contemplatifs et oisifs) ne supportent pas de travailler sans plaisir. A tel point qu’ils sont prêts à s’ennuyer et même supporter le travail le plus dur plutôt que de ne pas prendre de plaisir au travail.

Chercher du travail en vue du salaire – voilà en quoi presque tous les hommes sont égaux dans les pays civilisés : pour eux tous, le travail n’est qu’un moyen, et non le but lui-même ; aussi bien sont-ils peu raffinés dans le choix du travail, pourvu qu’il rapporte un gain appréciable.

Or il se trouve quelques rares personnes qui préfèrent périr plutôt que de se livrer sans plaisir au travail ; ce sont ces natures exigeantes et difficiles à satisfaire qui n’ont que faire d’un gain considérable, si le travail ne constitue pas lui-même le gain de tous les gains.

De cette espèce d’hommes rares font partie les artistes et les contemplatifs de toutes sortes, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie à la chasse, en voyages ou dans des intrigues et des aventures amoureuses. Tous ceux-là veulent le travail et la peine pour autant qu’ils sont liés au plaisir, et le travail le plus pénible, le plus dur s’il le faut.

Au demeurant, ils sont d’une paresse résolue, dût-elle entraîner l’appauvrissement, le déshonneur et mettre en danger la santé et la vie. Ils ne craignent pas tant l’ennui que le travail sans plaisir : ils ont même besoin de s’ennuyer beaucoup s’ils veulent réussir dans leur propre travail.

Pour le penseur comme pour tous les esprits sensibles l’ennui est ce désagréable « calme plat » de l’âme, qui précède l’heureuse navigation et les vents joyeux : il faut qu’il le supporte, qu’il en attende l’effet – c’est là précisément ce que les natures les plus faibles ne peuvent absolument pas obtenir d’elles- mêmes ! Chasser l’ennui par n’importe quel moyen est aussi vulgaire que travailler sans plaisir.

Nietzsche, Le Gai Savoir

L'essentiel

Le travail est souvent décrit comme un labeur, c’est-à-dire une activité pénible dont on ne peut tirer aucune joie. C’est d’ailleurs pourquoi la majorité des personnes travaillent par obligation, et prennent du plaisir en dehors de leur travail, avec leurs leurs loisirs.

Or, Nietzsche décrit ici une autre voie, empruntée par une minorité d’artistes et de penseurs : prendre du plaisir au travail. Cela ne veut pas dire rendre le travail moins pénible (au contraire même), mais plutôt accompagner cette pénibilité d’une véritable joie à travailler.

Cela ne veut pas dire non plus que le travail devient moins ennuyeux quand on y prend du plaisir. Mais seulement que l’ennui est récompensé, si l’on accepte de le supporter assez longtemps, par la réalisation de soi.

Des ressources pour aller plus loin

La joie de travailler

« Le dur labeur du matin au soir – c’est là la meilleure police. Elle tient chacun en bride et elle s’entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. »

– Nietzsche, Aurore

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