L'artisan ne dépend pas des machines
L’usage des outils sophistiqués peut nous rendre dépendants et nous affaiblir, à moins que nous apprenions à créer ces outils nous-mêmes.
Tant d’instruments inventés pour nous guider dans nos expériences et suppléer à la justesse des sens, en font négliger l’exercice. Le graphomètre dispense d’estimer la grandeur des angles ; l’œil qui mesurait avec précision les distances s’en fie à la chaîne qui les mesure pour lui ; la romaine [instrument de mesure] m’exempte de juger à la main le poids que je connais par elle.
Plus nos outils sont ingénieux, plus nos organes deviennent grossiers et maladroits : à force de rassembler des machines autour de nous, nous n’en trouvons plus en nous-mêmes.
Mais, quand nous mettons à fabriquer ces machines l’adresse qui nous en tenait lieu, quand nous employons à les faire la sagacité qu’il fallait pour nous en passer, nous gagnons sans rien perdre, nous ajoutons l’art à la nature, et nous devenons plus ingénieux, sans devenir moins adroits. Au lieu de coller un enfant sur des livres, si je l’occupe dans un atelier, ses mains travaillent au profit de son esprit : il devient philosophe et croit n’être qu’un ouvrier.
L'essentiel
Les récents progrès de l’informatique ont entraîné de nombreux débats sur l’éducation, dont certains frôlent la science-fiction. Cela vaut-il encore la peine de lire des livres ? Peut-on s’appuyer sur les IA pour remplacer certaines professions ? Par exemple, faut-il remplacer les enseignants par des robots-documentalistes ?
Rousseau, qui n’avait pas accès à toute cette technologie, se posait pourtant une question très similaire : à quel point peut-on s’appuyer sur nos outils ?
D’après lui, les outils rendent nos corps paresseux et maladroits. Et plus nous dépendons d’eux, plus nous manquons d’habileté et d’ingéniosité.
Faut-il alors refuser l’usage des outils ? Pas si nous apprenons à les fabriquer/programmer nous-mêmes. Car ce faisant, nous exerçons nos sens et notre esprit, et ne dependons pas des machines.
Des ressources pour aller plus loin
Eloge des artisans
« De toutes les occupations qui peuvent fournir la subsistance de l’homme, celle qui le rapproche le plus de l’état de nature est le travail des mains : de toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune est celle de l’artisan. »